La prévention représente un pilier fondamental dans la politique de santé publique française. Face à l’augmentation des maladies chroniques et au vieillissement de la population, le système de santé évolue progressivement d’une logique curative vers une approche préventive. Cette transformation s’accompagne d’un cadre juridique spécifique encadrant les remboursements des actes de prévention par les organismes d’assurance maladie et les complémentaires santé. Le législateur a mis en place divers dispositifs visant à favoriser l’accès aux soins préventifs tout en garantissant leur prise en charge financière. De la vaccination aux dépistages organisés, en passant par les consultations de prévention, comprendre ce cadre légal permet aux assurés de bénéficier pleinement de leurs droits en matière de prévention santé.
Fondements juridiques de la prévention dans le système d’assurance santé français
Le cadre légal des remboursements liés à la prévention s’inscrit dans une architecture juridique complexe, fruit de l’évolution progressive du système de santé français. Le Code de la santé publique et le Code de la sécurité sociale constituent les principaux textes de référence en la matière. L’article L.1411-1 du Code de la santé publique définit la politique de prévention comme partie intégrante de la politique de santé, tandis que l’article L.160-8 du Code de la sécurité sociale précise les prestations couvertes par l’assurance maladie, incluant certains actes de prévention.
La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a marqué un tournant majeur en instaurant un parcours de soins coordonné qui valorise la prévention. Cette loi a notamment créé les consultations de prévention, dont certaines sont prises en charge à 100% par l’Assurance Maladie. Par la suite, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a renforcé cette orientation préventive en créant de nouveaux dispositifs comme le service sanitaire des étudiants en santé.
Le cadre juridique s’est encore enrichi avec la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019, qui a consacré la notion de parcours de prévention tout au long de la vie. Cette loi prévoit notamment des consultations de prévention à des âges clés de la vie, remboursées intégralement par l’Assurance Maladie.
La réforme du 100% Santé, mise en œuvre progressivement depuis 2019, représente une avancée significative dans l’accès aux soins préventifs. Cette réforme garantit un reste à charge zéro pour certains équipements d’optique, prothèses dentaires et aides auditives, favorisant ainsi l’accès à des soins qui, lorsqu’ils sont négligés, peuvent entraîner des complications de santé.
Les contrats responsables, définis aux articles L.871-1 et R.871-1 du Code de la sécurité sociale, constituent un autre pilier du dispositif légal. Ces contrats, bénéficiant d’avantages fiscaux et sociaux, doivent obligatoirement prendre en charge certains actes de prévention définis par arrêté ministériel. Cette obligation a été renforcée par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui a généralisé la complémentaire santé à tous les salariés.
Hiérarchie des normes applicables
La prise en charge des actes de prévention s’organise selon une hiérarchie des normes précise :
- Les lois votées par le Parlement définissent les grandes orientations
- Les décrets précisent les modalités d’application
- Les arrêtés ministériels déterminent les actes de prévention pris en charge
- Les circulaires et instructions guident l’application par les organismes d’assurance
Les dispositifs légaux de prise en charge des actes préventifs par l’Assurance Maladie
L’Assurance Maladie joue un rôle prépondérant dans la prise en charge des actes de prévention, conformément aux dispositions légales. La Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) signée entre l’État et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) définit les priorités en matière de prévention et les moyens alloués. Le cadre légal prévoit plusieurs dispositifs de prise en charge des actes préventifs.
Les vaccinations obligatoires et recommandées constituent un premier volet majeur de la prévention. L’article L.160-8 du Code de la sécurité sociale prévoit leur remboursement à 65% par l’Assurance Maladie, la part complémentaire étant généralement couverte par les mutuelles dans le cadre des contrats responsables. Depuis le 1er janvier 2018, onze vaccins sont obligatoires pour les enfants nés après cette date, conformément à la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale. Ces vaccins sont intégralement pris en charge.
Les dépistages organisés représentent un autre pilier du dispositif préventif. Le cancer du sein (femmes de 50 à 74 ans), le cancer colorectal (hommes et femmes de 50 à 74 ans) et le cancer du col de l’utérus (femmes de 25 à 65 ans) font l’objet de programmes nationaux de dépistage. Ces examens sont pris en charge à 100% par l’Assurance Maladie, sans avance de frais, conformément à l’article L.160-14 du Code de la sécurité sociale. Le décret n° 2018-796 du 17 septembre 2018 a organisé la généralisation du dépistage du cancer du col de l’utérus, complétant ainsi le dispositif existant.
Les examens de prévention à des âges clés sont également prévus par la législation. L’examen prénatal précoce et les examens obligatoires de l’enfant (20 examens de 0 à 16 ans) sont pris en charge à 100% par l’Assurance Maladie. Pour les adultes, la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a instauré des consultations de prévention à trois âges clés : 25 ans, 45 ans et 65 ans. Ces consultations, dont le contenu a été précisé par le décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022, sont intégralement prises en charge.
Le bilan de santé gratuit proposé par l’Assurance Maladie tous les 5 ans aux assurés et ayants droit complète ce dispositif. Instauré par l’article L.321-3 du Code de la sécurité sociale, il est particulièrement ciblé vers les populations vulnérables ou éloignées du système de soins. Ce bilan, réalisé dans les Centres d’Examens de Santé (CES), comprend des examens cliniques, biologiques et des actions d’éducation à la santé.
Le cas particulier des affections de longue durée (ALD)
Pour les patients atteints d’affections de longue durée (ALD), la prévention revêt une dimension particulière. L’article L.324-1 du Code de la sécurité sociale prévoit un protocole de soins qui inclut des mesures préventives spécifiques, prises en charge à 100% dans le cadre de l’ALD. Cette prise en charge s’étend aux complications et comorbidités fréquentes, dans une logique de prévention secondaire et tertiaire.
Obligations légales des complémentaires santé en matière de prévention
Les organismes complémentaires d’assurance maladie (mutuelles, institutions de prévoyance et compagnies d’assurance) sont soumis à un cadre légal strict concernant la prise en charge des actes de prévention. Le dispositif des contrats responsables, encadré par les articles L.871-1 et R.871-1 du Code de la sécurité sociale, constitue la pierre angulaire de ce système. Ces contrats, bénéficiant d’avantages fiscaux et sociaux, doivent obligatoirement prendre en charge certains actes de prévention.
L’arrêté du 8 juin 2006, modifié par l’arrêté du 18 novembre 2014, fixe la liste des prestations de prévention considérées comme prioritaires au regard d’objectifs de santé publique. Cette liste comprend notamment :
- Le détartrage annuel complet sus et sous-gingival
- Le dépistage de l’hépatite B
- Le bilan du langage oral ou écrit pour les enfants
- Le dépistage des troubles de l’audition chez les personnes âgées
- L’ostéodensitométrie pour les femmes de plus de 50 ans
- Certains vaccins (grippe, pneumocoque…)
Les contrats responsables doivent prendre en charge au minimum deux prestations de prévention de cette liste, avec un remboursement au moins égal à 100% du ticket modérateur. Dans la pratique, de nombreuses complémentaires vont au-delà de cette obligation minimale et couvrent l’ensemble des actes listés.
La réforme du 100% Santé, mise en œuvre progressivement depuis 2019 en application de l’article 51 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale, a renforcé les obligations des complémentaires santé en matière de prévention. Cette réforme garantit un reste à charge zéro pour certains équipements d’optique, prothèses dentaires et aides auditives. Les complémentaires santé proposant des contrats responsables doivent obligatoirement prendre en charge ces équipements, selon des modalités précisées par le décret n° 2019-21 du 11 janvier 2019.
La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a généralisé la complémentaire santé à tous les salariés du secteur privé. Les contrats collectifs obligatoires mis en place dans ce cadre doivent respecter les obligations des contrats responsables, garantissant ainsi une couverture minimale en matière de prévention pour l’ensemble des salariés.
Au-delà de ces obligations légales, de nombreux organismes complémentaires développent des programmes de prévention spécifiques. Ces initiatives, bien que non obligatoires, s’inscrivent dans une démarche globale de prévention encouragée par les pouvoirs publics. L’article L.871-1 du Code de la sécurité sociale autorise les organismes complémentaires à prévoir la prise en charge de prestations de prévention non remboursées par l’Assurance Maladie, tout en conservant le caractère responsable du contrat.
Les limites à la liberté tarifaire des complémentaires santé
La loi Évin (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989) et ses décrets d’application encadrent strictement la tarification des contrats collectifs et individuels. Les organismes complémentaires ne peuvent pas fixer des tarifs différents en fonction de l’état de santé des assurés pour les contrats collectifs obligatoires, ce qui favorise l’accès aux soins préventifs pour tous les salariés, y compris ceux présentant des risques de santé plus élevés.
L’évolution du cadre légal avec la pandémie de COVID-19
La pandémie de COVID-19 a provoqué une adaptation rapide du cadre légal des remboursements liés à la prévention. Face à cette crise sanitaire sans précédent, le législateur a pris des mesures d’urgence pour faciliter l’accès aux soins préventifs et limiter la propagation du virus.
La vaccination contre la COVID-19 constitue l’exemple le plus emblématique de cette évolution. L’article 5 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 a prévu la prise en charge intégrale des frais liés à la vaccination par l’Assurance Maladie, sans avance de frais. Cette disposition exceptionnelle a été complétée par le décret n° 2020-1691 du 25 décembre 2020 qui précise les modalités de cette prise en charge.
Les tests de dépistage (PCR, antigéniques, sérologiques) ont également fait l’objet d’une prise en charge particulière. Initialement, tous les tests étaient intégralement remboursés, sans prescription médicale préalable, conformément à l’arrêté du 10 juillet 2020. Ce dispositif exceptionnel visait à favoriser un dépistage massif pour contrôler l’épidémie. Progressivement, le cadre a évolué avec l’arrêté du 1er juin 2021, puis avec le décret n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 qui a mis fin à la gratuité systématique des tests de confort, tout en maintenant la prise en charge pour les personnes vaccinées, symptomatiques ou cas contact.
La téléconsultation, outil majeur de prévention pendant les périodes de confinement, a vu son cadre légal considérablement assoupli. L’avenant 6 à la convention médicale, signé en 2018, avait déjà posé les bases du remboursement des téléconsultations, mais avec des conditions restrictives. Face à la pandémie, le décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 a levé ces restrictions, permettant une prise en charge à 100% des téléconsultations par l’Assurance Maladie, y compris pour des patients n’ayant jamais consulté le médecin auparavant. Cette mesure dérogatoire a ensuite été prolongée par plusieurs textes successifs.
La pandémie a également accéléré la mise en place de nouveaux dispositifs de prévention. La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a créé le pass sanitaire, devenu ensuite pass vaccinal, outil de prévention collective visant à limiter la circulation du virus dans certains lieux publics. Bien que controversé, ce dispositif s’inscrivait dans une logique de prévention soutenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021.
Ces évolutions législatives et réglementaires ont mis en lumière la capacité d’adaptation du cadre légal des remboursements liés à la prévention face à une crise sanitaire majeure. Elles ont également souligné l’importance de la prévention dans la politique de santé publique et la nécessité de garantir son accessibilité financière pour tous les assurés.
Les enseignements pour l’avenir du cadre légal
La gestion de la pandémie a mis en évidence certaines forces et faiblesses du système actuel. La Haute Autorité de Santé et la Cour des comptes ont formulé des recommandations pour renforcer la dimension préventive du système de santé et améliorer son cadre légal, notamment en pérennisant certaines mesures exceptionnelles comme l’élargissement des compétences des professionnels de santé en matière de vaccination.
Vers un renforcement du cadre légal de la prévention : perspectives et enjeux
Le cadre légal des remboursements liés à la prévention connaît une dynamique d’évolution constante, reflétant la place croissante accordée à la prévention dans la politique de santé publique. Plusieurs réformes récentes ou en cours témoignent de cette tendance de fond.
La Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 a placé la prévention au cœur des priorités, avec un objectif de renforcement des dispositifs légaux favorisant son accès et sa prise en charge. Cette orientation s’est traduite par plusieurs mesures concrètes, comme l’extension de la vaccination obligatoire pour les enfants ou la mise en place progressive du Service d’Accès aux Soins (SAS), qui inclut un volet préventif.
Le Plan national de santé publique « Priorité Prévention » lancé en 2018 prévoit un renforcement du cadre légal des remboursements liés à la prévention tout au long de la vie. Parmi les mesures phares figure la mise en place des consultations de prévention à des âges clés, dont le contenu et les modalités ont été précisés par le décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022. Ces consultations, intégralement prises en charge par l’Assurance Maladie, visent à détecter précocement les facteurs de risque et à promouvoir des comportements favorables à la santé.
La réforme de la Protection Sociale Complémentaire (PSC) dans la fonction publique, initiée par l’ordonnance n° 2021-175 du 17 février 2021, constitue une avancée majeure. Cette réforme prévoit une participation obligatoire des employeurs publics au financement de la complémentaire santé de leurs agents, avec des contrats qui devront respecter les obligations des contrats responsables en matière de prévention. La mise en œuvre progressive de cette réforme d’ici 2026 permettra d’étendre la couverture des actes de prévention à l’ensemble des agents publics.
Le développement de la e-santé et de la télémédecine ouvre de nouvelles perspectives pour la prévention. La loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a créé un cadre légal pour le développement de ces outils, incluant leur prise en charge par l’Assurance Maladie et les complémentaires santé. Le Ségur de la santé a accéléré cette dynamique en prévoyant des investissements massifs dans le numérique en santé, avec un volet préventif affirmé.
Plusieurs propositions de réformes sont actuellement en discussion pour renforcer encore le cadre légal des remboursements liés à la prévention. Parmi elles, l’extension du 100% Santé à de nouveaux domaines comme la prévention bucco-dentaire ou la contraception, la création d’un forfait prévention annuel pris en charge par l’Assurance Maladie, ou encore le renforcement des incitations financières pour les complémentaires santé qui développent des programmes de prévention innovants.
Les défis à relever
Malgré ces avancées, plusieurs défis demeurent pour garantir l’efficacité du cadre légal des remboursements liés à la prévention :
- Réduire les inégalités sociales et territoriales d’accès à la prévention
- Améliorer la lisibilité du système pour les assurés
- Développer des mécanismes d’évaluation de l’efficacité des dispositifs préventifs
- Trouver un équilibre financier permettant de soutenir les investissements en prévention
La Cour des comptes, dans son rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de 2021, a souligné la nécessité de renforcer la coordination entre les différents acteurs (Assurance Maladie, complémentaires santé, collectivités territoriales) pour optimiser l’efficacité des dispositifs de prévention. Cette recommandation pourrait se traduire par de nouvelles dispositions légales visant à clarifier les responsabilités de chaque acteur et à garantir une prise en charge cohérente des actes de prévention.
La question du financement de la prévention reste un enjeu majeur. Le modèle actuel, principalement axé sur le curatif, devra évoluer pour accorder une place plus importante aux investissements préventifs. Cette évolution nécessitera probablement une adaptation du cadre légal des remboursements, avec de nouveaux mécanismes de financement dédiés à la prévention.
En définitive, le renforcement du cadre légal des remboursements liés à la prévention s’inscrit dans une transformation plus profonde du système de santé français, visant à passer d’une logique principalement curative à une approche plus préventive. Cette évolution, soutenue par un large consensus politique et sociétal, devrait se poursuivre dans les prochaines années, avec de nouvelles dispositions légales visant à faciliter l’accès aux soins préventifs et à garantir leur prise en charge financière.
